L’Assemblée Nationale examine en ce moment une proposition de loi portée par les Députés de la majorité présidentielle ayant pour objectif de « bâtir la société du bien vieillir en France ». En décidant de concentrer les débats sur le vieillissement de la population, ces Députés ont laissé de côté tout un pan de la politique de l’autonomie : la réponse aux besoins des personnes en situation de handicap.
Certes, il est utile et important de légiférer pour améliorer l’accompagnement des personnes âgées. Mais, l’opposition systématique entre politique du grand âge et politique du handicap n’a pas lieu d’être.
Déjà, parce qu’il n’y a aucune raison – si ce n’est de la discrimination – d’écarter des politiques du « bien vieillir » les personnes en situation de handicap : d’une part, car elles aussi vieillissent et doivent pouvoir le faire dans les meilleures conditions ; d’autre part, car de nombreuses personnes, en avançant en âge, seront en situation de handicap (cognitif, sensoriel, physique ou psychique).
Ensuite, parce que même en ne voulant cibler que les personnes âgées, plusieurs des dispositions touchent directement aux personnes handicapées, dès lors qu’elles évoquent les personnes accompagnées par des établissements et services médico-sociaux ou les personnes « vulnérables ».
Mais surtout, parce que le précédent quinquennat a vu naître la 5ème branche de la Sécurité Sociale dédiée au soutien à l’autonomie des personnes âgées ET des personnes en situation de handicap.
Le Collectif Handicaps dénonce depuis des années la logique de segmentation des publics, que cette proposition de loi ne fait qu’entériner, et regrette que l’ambition de la majorité présidentielle ne soit pas plutôt de bâtir une société où chacun pourrait avoir droit à une compensation personnalisée et effective, sans reste à charge et sans distinction liée à l’âge.
Sans véhicule législatif propre au handicap, des propositions (qui font pourtant l’unanimité) restent lettres mortes.
Ce n’est pas faute de proposer. Dès janvier dernier, le Collectif Handicaps a adressé au Gouvernement et aux Parlementaires sa position détaillée sur ce texte de loi avec de nombreuses propositions visant à enrichir ce texte, avec plusieurs priorités :
- La suppression de la barrière d’âge fixée à 60 ans pour pouvoir bénéficier de la PCH, avec l’objectif d’un droit à compensation universel. Les prestations seraient alors repensées (périmètre, besoins couverts, tarifs, accompagnement, etc.) et versées quels que soient l’âge, l’état de santé et le handicap de la personne, permettant ainsi de lui garantir les moyens d’une compensation intégrale, effective et personnalisée, sans exclusion d’aucune situation de handicap et sans reste à charge. Pourquoi des personnes n’auraient-elles pas le même droit à compensation avant et après 60 ans ?
- La création d’un observatoire territorial des besoins en soutien à l’autonomie. Pour piloter une politique nationale de l’autonomie, il faut impérativement mieux identifier et analyser les besoins des personnes concernées. Sans ce recueil de données quantitatives et qualitatives dans les territoires, il parait difficile de concevoir les solutions adaptée et déployer les moyens nécessaires pour que chacun puisse avoir une réponse adéquate.
- Le déploiement de la communication alternative et améliorée (CAA), outils indispensables pour permettre aux personnes « en impossibilité partielle ou totale de communiquer » d’exprimer leurs volontés et de faire respecter leurs droits fondamentaux. Le rapport Taquet-Serres le soulignait déjà en 2018. Pourquoi juger qu’ils ne relèvent pas de l’objet du texte ? Permettre à chacun de pouvoir communiquer, c’est lutter contre l’isolement et la maltraitance et garantir les droits fondamentaux (à l’image du titre II de la proposition de loi).
Des Députés de tous bords soutiennent ces revendications, mais aucune n’a pu être examinée, du fait des règles de recevabilité des amendements.
Le Collectif Handicaps estime que les Parlementaires sont dessaisis de la politique de l’autonomie des personnes âgées et en situation de handicap. La 5ème branche « Autonomie » reste une coquille vide, car le Gouvernement n’a pas un projet clair et une vision d’ensemble sur ces enjeux, mais aussi parce que le débat avec la représentation nationale n’est pas permis.
Les objectifs à atteindre sont pourtant clairs :
- permettre le développement, le soutien et la préservation des compétences des enfants et des adultes pour qu’ils puissent être le plus autonome possible quel que soit l’âge ;
- l’effectivité des droits ;
- une offre de services en adéquation avec les besoins d’accompagnement ;
- un financement lisible et suffisant pour des prestations de qualité.
Impossible d’améliorer en profondeur les droits des personnes en situation de handicap, bien que le texte propose des mesurettes qui s’imposeront à elles.
Pour refuser les amendements relatifs aux personnes en situation de handicap, les rapporteures utilisent l’argument qu’elles ne sont pas la cible de cette proposition de loi.
Pourtant, plusieurs articles les concernent directement : l’article 2 sur le repérage et la lutte contre l’isolement social, l’article 3 sur la garantie des libertés et droits fondamentaux des personnes accueillies en ESMS, l’article 4 sur le signalement des situations de maltraitances, les articles 5 et suivants sur la protection juridique des majeurs ou encore l’article 13 sur l’habitat inclusif.
S’agissant de l’article 12, le Collectif Handicaps demande que la qualité des prestations délivrées par les ESMS continue d’être évaluée au regard des recommandations de bonnes pratiques – et non en référence au seul référentiel généraliste de la HAS, qui ne tient pas compte des spécificités des personnes en situation de handicap. Les RBPP sont des références indispensables pour garantir un accompagnement de qualité aux personnes dans les ESMS.
La Conférence Nationale de l’Autonomie créée par l’article premier de ce texte pose également question. D’après les débats ayant eu lieu en commission des affaires sociales, cette instance ne concerne que la prévention de la dépendance des personnes âgées. Si les auteurs de ce texte et le Gouvernement ne veulent pas faire évoluer le périmètre de cette Conférence, alors l’utilisation du terme « Autonomie » est abusive.
Même interrogation suite à l’annonce d’un amendement gouvernemental, d’ici la séance publique, pour inscrire dans la loi le « service public territorial de l’autonomie » – et ce, alors que les concertations sur les contours de ce dispositif, bien que sporadiques, sont encore en cours à la CNSA …
N’en déplaise au discours politique ambiant : « Autonomie » ne rime pas qu’avec « Bien vieillir ». Après la création de la 5ème branche de la Sécurité Sociale et face aux besoins du secteur médico-social, c’est d’une ambition politique globale sur le soutien à l’autonomie dont la France a besoin. La Conférence Nationale du Handicap doit être l’occasion de présenter ce cap et de concrétiser cette dynamique d’une politique basée sur les aspirations et besoins des personnes, avec des prestations adaptées, sans barrière d’âge et sans exclusion d’aucune situation de handicap.