La situation économique ajoutée au développement du télétravail, qui peut faciliter l’emploi tout autant qu’en décupler l’exclusion, fragilise les travailleurs handicapés. Au-delà d’un plan de soutien, la crise doit être une opportunité pour changer de paradigme quant à l’emploi des handicapés estime dans une tribune au « Monde » Arnaud de Broca, président du Collectif Handicaps.
Tribune. La crise économique s’annonce forte, sans précédent. Elle va toucher de plein fouet les travailleurs handicapés et aggraver une situation préexistante particulièrement inquiétante : un taux de chômage deux fois supérieur à celui du reste de la population, un nombre de licenciements pour inaptitude dramatiquement élevé, un niveau de formation moins élevé, des discriminations quotidiennes et des préjugés encore trop importants…
La liste était déjà longue. Mais avec un virus qui s’installe dans la durée, les multiples préjugés vont s’accentuer dans un contexte de compression d’effectifs, de pénurie d’emplois et de recherche de performance, rendant très compliqués l’accès et même le maintien en emploi. Dans une période inédite pour les entreprises, la différence peut faire encore plus peur.
A cette liste déjà longue, ne rajoutons pas l’impact des nouvelles organisations et conditions de travail, qui doivent s’adapter aux besoins des travailleurs handicapés pour éviter de les discriminer. Le télétravail, que le gouvernement généralise, peut en effet être à double tranchant : s’il peut faciliter le maintien en emploi, il peut décupler l’exclusion et l’isolement.
Lourde responsabilité des partenaires sociaux
On décroche vite d’un collectif de travail si l’intranet n’est pas accessible aux travailleurs aveugles ou si la visioconférence, devenue aussi la règle, n’est pas adaptée aux personnes sourdes. On décroche vite aussi si son activité professionnelle ne permet pas de faire du télétravail, mais que le handicap ou la maladie conduisent à vous considérer comme vulnérables. De même, le maintien du lien social et de l’accompagnement est un enjeu important pour les personnes avec une déficience intellectuelle ou des troubles psychiques.
Les partenaires sociaux ont une lourde responsabilité. Ils se doivent de prendre en compte dans la négociation actuelle sur le télétravail, qui avance pour le moins lentement, la question particulière des travailleurs handicapés. Il en est de même de la réforme de la santé au travail, un temps annoncée comme prioritaire, mais qui semble être au point mort. Ce n’est pas comme s’il y avait urgence…
Chaque année, la survenue ou l’aggravation d’une maladie ou d’un handicap se traduisent par un licenciement pour inaptitude pour 120 000 personnes par an, soit une quinzaine par heures. La responsabilité du gouvernement est bien évidemment centrale, et pas uniquement pour renforcer l’accès et le maintien en emploi des travailleurs handicapés dans les fonctions publiques. Pour soutenir les 150 000 travailleurs handicapés en établissement et service d’aide par le travail (ESAT) et entreprises adaptées, pour certains gravement touchés par la crise économique.
Changer de paradigme
Plus généralement, puisque l’aide à l’embauche adoptée dans le cadre du plan de relance, utile et nécessaire, peine à produire ses effets, les travailleurs handicapés, particulièrement touchés par la crise, sont en droit d’attendre la même mobilisation que celle mise en place pour les jeunes avec le slogan « un jeune, une solution ».
D’autant plus que l’objectif n’est pas de revenir à une situation antérieure, bien peu réjouissante, mais de véritablement changer de paradigme. Les crises sanitaires, économique et sociale agissent comme une loupe et mettent en lumière les freins multiples à l’emploi des travailleurs handicapés, mais aussi le scandale des discriminations, de l’isolement et de la précarité qu’ils subissent. Il est temps d’en finir !
Arnaud de Broca (Président du collectif Handicaps)
Tribune publiée dans Le Monde le 16 novembre 2020.