Handicap.fr, le 19 août 2021
« L’audition de la France par le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU a débuté le 18 août 2021, en 3 phases. Même s’il constate de nombreuses avancées, il ne ménage pas notre pays dans certains domaines.
L’examen de la politique handicap de la France par l’ONU a débuté le 18 août 2021. L’objectif de cette audition est de savoir si notre pays a fait des « progrès » dans le respect de la Convention internationale relative aux droits de personnes handicapées, qu’il a ratifié en 2010 (article complet en lien ci-dessous). C’est la première fois que la France est ainsi interrogée « en live », après son rapport rendu en 2016. Le principe est simple : trois séances, les 18, 20 et 23 août, de 12h30 à 14h30. Les 33 articles de la Convention sont passés au crible. La première session a permis de planter le décor et d’aborder ceux de 1 à 10. Les membres du comité onusien, des personnes en situation de handicap issues des cinq continents, ont questionné la délégation française conduite par Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat au Handicap, et composée d’une quinzaine de personnes.
Des questions sans détour
Le champ des interrogations est vaste -une question sur la situation des gens du voyage s’invite même dans la liste-, sans précaution, cash, n’épargnant aucune critique, l’idée n’étant visiblement pas de brosser notre pays dans le sens du poil mais d’appuyer là où ça fait mal. « Comment expliquer que, dans les établissements, ceux qui sont censés dénoncer les violences éventuelles sont les mêmes que ceux, éventuellement, qui en sont à l’origine ? », « Les maisons pour femmes handicapées victimes de violence sont-elles accessibles ? », « Quelles mesures prises pour les personnes handicapées de plus de 60 ans et celles vivant dans les DOM-TOM ? ». « Pourquoi tant de disparités régionales pour l’accès aux droits et en termes d’accessibilité et que compte faire la France pour résoudre ce problème géographique ? », « Quelles mesures sont prises pour protéger les enfants en institution de toute forme de violence et leur permettre d’être entendus ? ». « Comment expliquer la hausse des suicides de personnes autistes et avec un handicap psychique depuis le début de la crise sanitaire ? »…
La loi de 2005 en cause
Il n’est pas question d’éluder les « nombreuses avancées » et les « efforts des gouvernements », la France étant sincèrement « félicitée » pour certaines des actions qu’elle a mises en œuvre. Mais il y a souvent des « mais ». Si le ton reste cordial, chaleureux, on devine un haut niveau d’exigence et la nécessité de « transformations profondes », point de vue partagé par Claire Hédon, Défenseure des droits, qui porte la parole des personnes handicapées et des associations, ou encore la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’Homme)… Le Comité se dit préoccupé par la différence entre « la politique et la pratique », son rapporteur, Jonas Ruskus, allant même jusqu’à égratigner la loi handicap de 2005, pourtant fondatrice en matière de droits des personnes handicapées et dont s’enorgueillit notre pays. Il déplore qu’elle ne soit pas « harmonisée » avec la Convention internationale », « le modèle du handicap basé sur les droits de l’Homme n’ayant pas été intégré dans cette législation », selon Jonas Ruskus. Il fait mention de la stratégie autisme ou de la feuille de route en santé mentale qui « contiennent un modèle médical reconnu comme discriminatoire ». Il dénonce également le principe de « protection juridique » pour 700 000 français, notamment placés sous tutelle qui n’est pas une « forme de protection ». Dans un Tweet, le Collectif handicaps, qui rassemble une cinquantaine d’associations françaises, se « félicite » que le rapporteur ait souligné cette « non-conformité » entre les deux textes.
L’institutionnalisation au cœur des critiques
Sans rancune ? Car notre modèle associatif appuyé sur le médico-social n’est, lui non plus, pas épargné ; selon le Comité, « l’article 1 de la loi de 2005 crée la confusion et des conflits d’intérêts entre les organisations représentatives de personnes handicapées et les associations gestionnaires d’établissements », ce qui permet à ces dernières « d’avoir une influence prépondérante sur la politique handicap ». Il regrette ainsi que le CNCPH (Conseil national consultatif des personnes handicapées) leur accorde tant de places au détriment des personnes handicapées elles-mêmes, même si la dernière mandature de 2020 a permis de faire entrer au conseil des membres dits « qualifiés ». Le pavé est jeté ! L’institutionnalisation à la française, qui maintient les personnes handicapées « dans les murs », maintes fois évoquée lors de ces échanges, semble être au cœur des crispations, déjà pointée du doigt par la rapporteure de l’ONU après sa visite en France en 2017 (article en lien ci-dessous). La CNCDH parle même de « citadelles d’isolement ». Le Comité dénonce à son tour un « retour en arrière », qualifiant la situation « d’extrêmement grave ». Le protocole additionnel de la Convention européenne d’Oviedo fait, lui aussi, l’objet de critiques puisqu’il permet d’imposer des soins « sans consentement », « dégradants » et la privation de liberté aux personnes avec un handicap psychique ou autistes. Le Comité évoque des « sanctions infligées aux patients qui refusent de prendre leur traitement » et regrette « qu’il y ait si peu de contrôles et que les auteurs ne soient pas sanctionnés ». Il attend de la France qu’elle mette fin à ces pratiques même si cette dernière assure que ces « rares » mesures sont décidées dans des conditions médicales très strictes. Entre autres, le Comité pointe également la baisse du nombre de logements accessibles dans le cadre de la promulgation de la loi ELAN.
Suivre l’audition en direct
A la fin de ce premier rendez-vous, les membres du Comité ont fait part de leurs interrogations sur les articles de 11 à 20, laissant deux jours à la délégation française pour y répondre, soit le 20 août. La troisième séance, le 23 août, permettra de passer en revue les articles 21 à 33. Le Collectif handicaps attend « désormais des échanges sur trois thèmes prioritaires trop peu abordés » : l’accessibilité universelle, les ressources et compensation et enfin les services d’accompagnement et d’appui.
Cette audition, qui n’a pu se tenir à Genève en présentiel pour des raisons sanitaires, est retransmise en direct sur la web TV de l’ONU (en lien ci-dessous). Elle bénéficie d’une traduction en anglais qui ne permet malheureusement pas d’entendre les réponses données en français par notre délégation. Une retranscription écrite est cependant proposée dans notre langue malgré de nombreuses coupures lorsque les problèmes techniques s’en mêlent. Un interprète assure également la traduction en Langue des signes française et anglaise. Les débats sont ensuite disponibles en replay. A suivre… »